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mercredi 2 septembre 2009

Bouteflika au sommet de Tripoli



Bouteflika au sommet de Tripoli

Le discours du président Bouteflika au sommet spécial de l'Union africaine de Tripoli mérite réflexion. En abordant la question des conflits en Afrique, le président a déclaré qu'il était « nécessaire et urgent d'apporter une réponse aux crises et aux conflits en adoptant une démarche globale qui intègre le traitement des causes des conflits et des tensions en Afrique, la lutte contre le terrorisme et la mise en place des instruments de réponse aux situations de belligérance, à l'instar de l'architecture africaine de paix et de sécurité.

Il faudrait dit il encore renforcer les mécanismes d'alerte rapide de l‘Union africaine et lorsqu'un conflit entre dans sa phase de règlement, conforter le processus de paix. » Comment ne pas souscrire à ses propositions et à la priorité qu'il a définie comme étant « la lutte contre le trafic des armes et contre le terrorisme qui alimentent le conflit en Somalie et les effets déstabilisateurs touchent toute la corne de l'Afrique voire au-delà ? Comment ne pas adhérer à son appel à « s'attaquer vigoureusement aux facteurs exogènes et aux éléments qui se nourrissent de ces situations. Le temps, a-t-il conclu lors de son intervention, est venu pour l'Afrique de gagner une autre bataille décisive, cette fois sur elle-même, en parvenant à mettre fin aux conflits qui pèsent sur son présent et contrarient ses projets d'avenir ».
Le discours que vient de prononcer le chef de l'état algérien est en fait, une déclaration de circonstance sans lendemain destinée à frapper les esprits et dont le contenu sera rapidement mis aux oubliettes.

Comment en effet lire cet engagement sans en référer à la situation actuelle du Maghreb ?
Au Maghreb, un conflit pèse sur le présent de toute la région et contrarie tous les projets d'avenir des pays maghrébins alimenté et nourri en cela par la diplomatie algérienne : le conflit du Sahara qui trente années durant aura pris en otage les peuples de la région et le développement économique des pays. M. Bouteflika qui a appelé la communauté internationale à « aider le continent à assurer son développement économique »pourrait peut être réfléchir aux conséquences de la fermeture des frontières entre le Maroc et l'Algérie. Après quinze années de fermeture qui obère ce développement en entravant les échanges commerciaux, économiques et humains engendrant ainsi un surcoût énorme pour l'économie des deux pays et pour les populations frontalières et une perte de 2%de croissance par année pour le Maghreb.

L'Algérie a répondu à l'appel des autorités marocaines d'ouverture de la frontière… par la mise en place d'un système de radars, premier du genre en Afrique qui permettra le contrôle électronique des frontières terrestres algériennes avec le Maroc. Le nouveau système comme le rapporte nos confrères algériens consiste en des caméras de haute précision implantées le long des frontières et munies d'infrarouges, de radars et d'appareils de détections. Des données pointues sont ainsi transférées aux brigades des gardes frontières. A quand les barbelés ?
Cette fermeture des frontières avec les conséquences d'un conflit artificiel contrarient les projets d'avenir de tous les pays de la région à commencer par ceux de l'Algérie où les émeutes éclatent dans plusieurs régions du pays comme le rapportent de nombreux témoignages sur la mal vie et la désespérance des Algériens, à l'instar ce premier septembre, du journal l'Expression qui titre « Cette colère qui fait peur » qui se nourrit des problèmes de fond, de « hogra » et de bureaucratie Mais l'un des témoignages les plus « douloureux » est sans doute celui, paru ce mois ci, dans la revue française « Diplomatie » sous la plume du président du RCD, Said Saidi, député de l'Assemblée algérienne qui écrit après avoir analysé la situation politique « Aujourd'hui, en Algérie tous les paramètres économiques et sociaux révèlent une régression dévastatrice.

Dotée d'un environnement qui lui permet de bénéficier du tourisme balnéaire, d'un désert qui est un véritable musée à ciel ouvert et d'un des plus beaux parcs archéologiques du Sud de la Méditerranée, l'Algérie a enregistré auprès des tour-opérateurs moins de 10 000 touristes en 2008 pendant que la Tunisie dépassait les 7 millions de visiteurs la même année. Le taux de chômage de 30%, masqué par des statistiques fantaisistes, affecte prioritairement la jeunesse qui voit débarquer dans son pays une main d'œuvre chinoise occupant jusqu'aux postes de travail les moins qualifiés. Plus de 2 millions d'hectares irrigables sont en jachère dans un pays qui importe la quasi-totalité de ses besoins alimentaires. Les maladies qui avaient été éradiquées à la fin des années 70 réapparaissent et en 2009, c'est-à-dire près d'un demi siècle après l'indépendance, les recettes en devises de l'Algérie dépendent à plus de 98% des hydrocarbures ….»
Concernant la politique étrangère de son pays, le député souligne qu'à « trop vouloir privilégier une stabilité - au demeurant de plus en plus incertaine - contre la démocratisation « trop aléatoire », l'arc latin de la Méditerranée, à l'inverse des États-Unis qui viennent d'exprimer publiquement « leur préoccupation » devant la supercherie des dernières présidentielles, risque d'hypothéquer toute forme de coopération équilibrée et durable dans la région.

L'illégitimité chronique est toujours génératrice d'abus, c'est-à-dire de corruption endémique et de violations des droits humains ; ce qui provoque inévitablement des affrontements entre le dirigeant et le citoyen qui, à terme, se transforment en rupture entre l'Etat et la société.
Ventre mou de la région, l'Algérie est le terrain choisi par Al Qaïda pour investir l'espace nord africain et s'étendre sur la zone péri saharienne avec l'arrière pensée de disposer d'une base avancée vers l'Europe occidentale.
C'est à partir de l'Algérie que sont lancées les grandes opérations terroristes dans toute la région. Au-delà d'une probable contamination du voisinage immédiat, d'aucuns commencent à redouter l'impact de cet activisme sur les expériences de démocratisation méritoires mais encore fragiles menées par des pays comme le Sénégal, le Ghana ou le Bénin si l'Algérie continue à hésiter entre gouvernance transparente et clientélisme prédateur.

Dit d'un mot l'Algérie, du fait de son histoire, de sa position et de ses ressources ne sera pas un acteur géostratégique neutre. Elle a vocation à être une zone de transmission et d'amplification du meilleur comme du pire.
Pour l'instant les 150 milliards de dollars de réserve de change dont dispose le régime travaillent au maintien du statu quo.

Les dirigeants qui se persuadent que cette manne leur permet de « voir venir » refusent la moindre évolution. Toute ouverture signifiant débat et éventuellement réforme, les responsables algériens ferment portes et fenêtres comme en témoignent le refus d'appréhender une coopération sérieuse avec l'Union européenne ; les tergiversations sur l'adhésion à l'OMC ; le parasitage inavoué mais résolu du projet de l'UPM ; la fermeture des frontières terrestres avec le Maroc ; la diabolisation de la communauté émigrée…
Pendant ce temps le pays se dévitalise. Les cadres fuient. Il y a plus de 40 000 universitaires qui ont quitté le pays pour la seule région du Québec en 10 ans et la morgue d'Alicante comptait en novembre 2008 plus de six cents cadavres de jeunes naufragés n'ayant pas pu atteindre les côtes espagnoles sur des embarcations de fortune. Chacun peut comprendre que cette situation est intenable. La génération qui a squatté le pouvoir depuis l'indépendance est épuisée, sans projet ni légitimité.

La question n'est pas de savoir s'il y aura un changement en Algérie mais d'en anticiper les procédures et la nature. La plus grande partie de cette problématique devra être résolue par les Algériens eux-mêmes. Il reste à espérer que nos partenaires européens, jusque là peu convaincus par l'hypothèse de l'émancipation démocratique du sud, ne compliqueront pas une transition aussi délicate que décisive pour le pays et la région »
Plus qu'un témoignage et un constat, un document courageux qui au-delà du discours mérite d'être entendu. Par Farida Moha

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