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mercredi 20 janvier 2010

Ali Atmane ; 26 ans de séquestration à Tindouf


Ali Atmane ; 26 ans de séquestration à Tindouf

ilote de l’armée de l’air marocaine, Ali Atmane fut séquestré pendant 26 ans

«Prisonnier de guerre des bagnes de l’Algérie et du Polisario»

Ali Atmane, ancien prisonnier des camps de concentration de Tindouf pendant un quart de siècle, lance dans son livre «Prisonnier de guerre des bagnes de l’Algérie et du Polisario» un appel aux instances internationales «pour que l’Algérie, qui a toujours affirmé qu’il n’existait ni conflit ni contentieux entre son pays et le Royaume du Maroc, rende des comptes au monde entier pour violations répétées à notre endroit, pendant des décennies, de toutes les Conventions de Genève dont elle est signataire et qu’elle soit astreinte à réparation tant au profit des ex-prisonniers encore vivants que pour les familles de ceux morts en martyrs dans leurs geôles et dont la dignité a longtemps été bafouée».
Cet appel survient au terme de plus de 300 pages de réquisitoire sur le calvaire inhumain subi durant des décennies par des milliers de prisonniers marocains et mauritaniens, dont un certain nombre mourront atrocement sous la torture, les privations, le manque de soins. Les descriptions poignantes des horreurs insoutenables laissent deviner une indescriptible machine de haine à broyer l’humain suite à une insupportable frustration de victoire rêvée en vue de l’institution d’un leadership régional.
Rien ne semblait prédestiner Ali Atmane, auteur de «Prisonnier de guerre dans les bagnes de l’Algérie et le Polisario», à la vie qu’il eut à subir et assumer comme prisonnier des bagnes du “Polisario” pendant 26 ans, de 1977 à 2003. Né en 1947 dans la localité Ighrem n’Berem au pied du Jbel Ayyachi, au Haut Atlas oriental, dans la région de Midelt, originaire de la tribu des Ait Hdiddou, il aurait pu continuer à vivre une vie de campagnard paisible. Mais il a fait des études et a choisi le métier des armes en s’engageant dans les Forces Armées Royales comme pilote de chasse. Il atteint le grade de capitaine au moment où le Maroc récupère ses provinces sahariennes. Quand le conflit est déclenché avec les incursions des séparatistes du “Polisario” soutenus, armés et épaulés par l’armée régulière algérienne, il demande, par plusieurs correspondances, à être engagé dans les combats. Au cours d’une intervention le 24 août 1977, pour repousser les assaillants qui attaquaient un convoi de ravitaillement de population allant de Laâyoune à Boujdour, son avion F5 est abattu par un missile Sam7. Tombant en parachute, il n’a pas pu être récupéré par les siens. «J’étais perdu!».
Il est alors fait prisonnier. Depuis cette date, les mauvais traitements et les humiliations vont se déclencher pour ne plus finir. Il sera l’hôte de plusieurs prisons dont les prisons d’Alger et de Blida où les hauts gradés de l’armée algérienne soumettent les prisonniers à des interrogatoires musclés pour leur soutirer des renseignements. Il sera torturé, comme bien d’autres, pour parler, sous la contrainte à la radio et servir la propagande de l’ennemi. On lui fait multiplier les rencontres avec la presse internationale et on exposa les prisonniers marocains et mauritaniens ainsi que du matériel de guerre récupéré au cours des combats pour crier victoire. Il arrivera à Atmane de remarquer la présence dans les prisons de personnes n’ayant aucun rapport avec la guerre, des bergers, des personnes suspectées de contrebande et même des Algériens refusant de faire la guerre contre le Maroc. C’était de véritables camps de concentration, des goulags dont l’auteur dit n’avoir évoqué que le minimum.
Au fil des pages, l’auteur révèle un univers de haine collective du Marocain parmi la hiérarchie militaire algérienne, à la limite du psychopathologique: «Manifester de la haine envers les Marocains est un comportement qui permet à tout Algérien de conserver son emploi et d’avancer dans la hiérarchie».
Le lecteur est guidé à travers le livre dans les camps de prisonniers. Ce faisant, il a droit au récit d’un calvaire lancinant qui a duré un quart de siècle où les descriptions se suivent à la pelle sur les violations des droits des prisonniers, assassinés à force de tortures, de maltraitances et de privations.
Au cours du récit, l’auteur revient souvent sur la supériorité des adversaires en matière d’armement soviétique moderne, depuis le déclenchement du conflit et jusqu’aux débuts des années 80. C’est souvent grâce à l’arrivée de nouveaux prisonniers, témoins de nouvelles batailles des sables, que Atmane parvenait, grâce à des recoupements multiples, à se faire une idée sur les types d’armement employés par les séparatistes dûment équipés en armes automatiques, missiles, véhicules ultramodernes à grande mobilité sur le sable et surtout en grand nombre. Ce qui lui faisait conclure que les Américains de la fin des années 70 -du temps de la présidence de Jimmy Carter (ndlr)- refusaient de donner des armes modernes au Maroc pour combattre un ennemi qui avait l’avantage d’attaquer à l’improviste les localités les moins défendues, d’agir sur un terrain qu’il connaîssait mieux et de pouvoir faire tomber les avions à des distances très élevés grâce à un matériel militaire de pointe. C’est seulement grâce à la construction du mur de sécurité que la partie est gagnée par le Maroc.
Les prisonniers Mauritaniens, en vertu de l’accord conclu entre leur pays et le “Polisario”, n’avaient aucune raison de rester emprisonnés durant tant d’années et pourtant ils l’ont été comme le constate Ali Atmane qui se fait un devoir d’évoquer leur cas comme des oubliés au destin tragique mais dont l’endurance et la loyauté allaient susciter son admiration.
Le livre se conclut par ces dernières paroles que nous citons in extenso:
«Aujourd’hui, vers où vont mes derniers espoirs? Que personne ne s’y trompe. Il est un combat auquel tout homme qui se respecte ne saurait renoncer jusqu’à son dernier souffle: celui de l’honneur et de la dignité! Vains mots pour certains, seuls mots donnant un sens à notre existence pour d’autres. Alors laissez-moi demander deux choses simples à mon pays:
1/ La réhabilitation de l’honneur de ceux vivants ou morts pour la Patrie, qui n’ont à aucun moment démérité, en leur octroyant tous les droits auxquels leur comportement héroïque devant l’ennemi, sur le champ de bataille comme en prison, leur permettait de prétendre.
2/ L’accompagnement ferme de notre action devant les instances internationales habilitées, pour que l’Algérie, qui a toujours affirmé qu’il n’existait ni conflit ni contentieux entre son pays et le Royaume du Maroc, rende des comptes au monde entier pour violations répétées à notre endroit, pendant des décennies, de toutes les conventions de Genève dont elle est signataire et qu’elle soit astreinte à réparation tant au profit des ex-prisonniers encore vivants que pour les familles de ceux morts en martyrs dans leurs geôles et dont la dignité a longtemps été bafouée. Est-ce trop demander?»

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«Prisonnier de guerre dans les bagnes de l’Algérie et du Polisario» de Ali Atmane, 350 page, distribution Sochpress.

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Extrait

Mohamed Salem Yahdith a été tué

«J’ai demandé des nouvelles de mon ami et camarade d’infortune, le guide Mohamed Salem Yahdith, qui avait fait avec moi le voyage du lieu de notre capture jusqu’à Tindouf. Tous les anciens prisonniers m’ont hélas affirmé qu’il était mort. Mais lorsque j’ai demandé où, quand et de quoi, chacun y est allé de sa version. Tel prisonnier m’a raconté qu’il avait travaillé avec Mohamed Salem Yahdith à Djebilete et qu’un jour, le puissant responsable nommé Omar Ould Ali Bouya l’avait enterré vivant. Tel autre a affirmé que le vieux guide capturé le 24 août 1977 à Boujdour, était mort devant lui suite à une bastonnade qu’un gardien lui avait administrée un matin au poste Saïd. Un autre m’a rapporté que mon ami était mort dans un autre poste où les prisonniers travaillaient sous le fouet pour les faire courir, mais que Mohamed Salem était tellement épuisé qu’il n’arrivait pas à suivre le rythme des autres beaucoup plus jeunes que lui, suite à quoi les gardiens l’auraient battu à mort. Le prisonnier infirmier, nommé Allal, originaire de Taza, m’a dit pour sa part que Mohamed était mort d’épuisement dans son infirmerie. Toujours d’après Allal, le guide aurait perdu la raison pendant son séjour à l’infirmerie avant de mourir. Bien d’autres versions m’ont été données, mais la réalité était difficile à dégager. Ce qui est sûr, c’est que tous les cas de décès que les prisonniers m’ont décrits ont bien existé. Beaucoup de prisonniers marocains et mauritaniens ont été tués dans différents camps de la région de Tindouf, mais dans lequel se trouvait Mohamed Salem Yahdih lors de son décès? Je ne saurais le dire avec certitude. Dans cette prison, la fatigue, l’épuisement et la peur (la vraie peur qui est le résultat d’un état de terreur quasi permanent) saisissent tous les prisonniers lors de chaque distribution générale de coups de câble. Et lorsqu’on a peur pour soi, on ne peut pas être attentif à celui que l’ennemi tue de coups juste à côté de vous. L’effroyable douleur du câble et la panique nous empêchait d’arrêter notre regard sur un agonisant. La peur du câble rend aveugle et nous pousse à courir plus vite qu’il n’est possible à un homme épuisé, sale, mal nourri, en manque de sommeil et soumis au travail forcé du lever du jour jusqu’au crépuscule. Nos tortionnaires nous faisaient courir chargés de lourdes briques en terre sur les épaules ou tenant d’une main le bout d’une «charia» chargée de boue. Tout le monde courait, mais personne n’échappaient aux coups de câble que le gardien distribuait à l’aveuglette. Malheur au prisonnier qui tombait de fatigue ou d’un malaise quelconque. Les gardiens s’acharnaient alors sur lui avec la seule volonté de le remettre debout à coups de câble. Il est difficile d’imaginer l’enfer qu’ont vécu les prisonniers marocains et mauritaniens dans les geôles du Polisario sur le territoire algérien et avec la complicité des autorités militaires de ce pays».

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