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mercredi 20 janvier 2010

Kabylie : Une cause, une lutte… une répression


Kabylie : Une cause, une lutte… une répression

L’Algérie est en fête depuis ce 12 janvier 2010. Comme tous les Berbères d’Afrique du Nord, les Amazighs d’Algérie commémorent Yennayer 2960. D’Alger à Oran, de Constantine à Paris, et de New-York à Bruxelles, ils sont des milliers à s’être réunis, en famille, dans les associations culturelles, politiques et communautaires, voire avec les élus locaux de leur ville de résidence, pour célébrer l’entrée dans le nouvel an du calendrier agraire. Un air de fête flotte ainsi sur l’Algérie officielle, mais ne fait pas oublier à ses citoyens amazighs, en son sein comme de par le monde, l’essence de leur cause. A savoir la reconnaissance par le régime actuel, sous la férule du président Abdelaziz Bouteflika et de la constante militaire, de la berbérité comme composante fondamentale de l’identité algérienne. Une contestation qui va jusqu’à faire revendiquer aux militants amazighs le statut de «jour férié, chômé et payé» à cette fête millénaire, que le pouvoir en place a décidé de célébrer depuis 1999 : «Le pouvoir politique, dans ses professions de foi conjoncturelles, notamment dans les périodes de crise, concède une existence à l’amazighité. Uniquement dans le discours. On reconnaît l’amazighité dans le passé, dans la paléontologie, en sous-entendant que nous sommes des Berbères, mais que l’Islam nous a arabisés. Le triptyque amazighité, arabité et islamité, reconnu par la Constitution, veut dire concrètement amazighité dans le passé, arabe comme unique langue officielle et Islam comme religion unique (…). Qu’est-ce qui empêche le pouvoir politique de réhabiliter Yennayer ? C’est dans sa nature même qui est uniciste, basée sur la conception fascisante : un pays, une nation, un peuple, une langue, un chef (…). L’Algérie actuelle ne prendra acte de son histoire, de sa préhistoire, de sa sociologie, de sa pluralité, que le jour où Yennayer sera jour férié au même titre que Aoual mouharam ou le 1er janvier», clame ainsi le journaliste et militant Arezki Aït Larbi (El Watan, édition en ligne du 12/01/10). «Chaque année, nous renouvelons le même appel en direction des décideurs pour qu’ils franchissent ce cap. A mon sens, la volonté politique existe, même si elle est frileuse et j’imagine qu’il y a des résistances dans un certain sérail politique, de l’ostracisme pratiqué par certains décideurs», justifie vaguement pour sa part auprès du même quotidien, Youcef Merahi, secrétaire général du Haut-commissariat à l’amazighité (HCA), instance rattachée au Palais El Mouradia. Et plus les réponses politiques du gouvernement Ahmed Ouyahia se font floues, plus les Amazighs, Kabyles en tête, montent le ton. Et plus la répression se durcit à l’encontre de ceux que les services secrets algériens accusent, depuis l’indépendance du pays en 1962, de connivence avec de «fourbes intérêts étrangers» désireux de «déstabiliser une république unie» sous prétexte d’autonomie régionale. Mais cet acharnement, policier hier, davantage politique aujourd’hui, ne fait pas baisser les armes aux activistes de la cause kabyle, renforçant même davantage leur détermination, voire radicalisant leur combat pour une fange parmi eux. Et faisant ressurgir de douloureuses réminiscences dans la mémoire de tous les Berbères d’Algérie. La plus vivace, car la plus récente, demeure sans conteste le fameux «Tafsut Taberkant» ou «Printemps noir» en tamazight. Tout commence avec l’assassinat dans les locaux de la gendarmerie de Beni Douala, le 18 avril 2001, du jeune lycéen kabyle Massinissa Guermah, 16 ans, suivi du rapt deux jours plus tard de trois collégiens à Amizour, près de Bejaïa. Le 22 avril, suite au démenti par la presse de l’information du ministère de l’Intérieur selon laquelle la victime était «un délinquant de 26 ans», de violentes altercations éclatent dans la région entre les habitants, majoritairement des adolescents, et les forces de l’ordre, les gendarmes n’hésitant pas à tirer à balles réelles sur les manifestants. Un mois plus tard, l’insurrection se propage dans toute la Kabylie, avant de gagner les rues d’Alger, où, le 14 juin 2001, près de 4 millions de manifestants marchent vers le palais présidentiel pour remettre leurs doléances au chef de l’Etat : emploi, logement, éducation, santé pour tous, lutte contre la corruption… Avec, en tête du cortège protestataire, la «Coordination des Aarchs, Daïras et Communes» (CADC, comités de villages et de tribus kabyles), menée par le trublion gauchiste de Tizi Ouzou, Belaïd Abrika. La grogne populaire monte, saccageant bâtiments publics et autres symboles du régime. Les représailles de la police et de l’armée sont sanglantes : tirs dans foule, matraquage des manifestants, incendie de maisons, arrestations massives et interrogatoires musclés des présumés meneurs de la fronde… jusqu’au fin fond des villages kabyles. Le 25 juin, la Kabylie s’enflamme à nouveau en souvenir du 3e anniversaire du meurtre de l’artiste, chanteur et poète engagé, Lounès Matoub. La situation ne se calmera qu’en avril de l’année suivante. Bilan de cette année de sang : 126 tués, plus de 5000 blessés, des millions de dinars de dégâts, des dizaines de disparus et de condamnés à de lourdes peines. Parmi lesquels Belaïd Abrika, arrêté le 13 octobre 2002. Relâché en juin 2003, c’est lui qui mènera les principaux pourparlers avec Ahmed Ouyahia le 25 janvier 2005. Quatre années plus tard, Belaïd Abrika poursuit le régime algérien devant la justice internationale pour crime d’Etat, et continue de réclamer le respect par le gouvernement des deux tiers des engagements pris en 2005. A l’exception des maigres réparations financières versées aux victimes des émeutes de 2001-2002 (un peu plus de 23.000 euros pour les familles des tués et de 50 à 150 euros environ par mois pour les blessés) et la reconnaissance du tamazight comme langue nationale dans la Constitution, les autres réclamations afférentes à la plate-forme d’El Kseur demeurent en effet insatisfaites à ce jour. Crainte de dévoiler au grand jour les véritables commanditaires de ces tragiques représailles et partant, les liens entre l’armée et un gouvernement perçu comme la simple marionnette de la Grande Muette ? Peur, en reconnaissant le tamazight comme langue officielle et non seulement nationale, de mettre en danger «l’unité de la nation arabo-musulmane d’Algérie», «si difficilement mise en place» au lendemain de la colonisation française ? Quoi qu’il en soit, huit ans après les sanglantes émeutes de 2001, la Kabylie repose toujours sur une poudrière d’acre ressentiment et d’insécurité : insuffisance d’infrastructures sociales de base, néant culturel, mise au ban économique, terrorisme islamiste, kidnappings de businessmen et d’enfants de notables, trafic de stupéfiants et autre grand banditisme. Pis, du côté des autorités, la répression de l’activisme amazigh a revêtu des allures plus sournoises : interdiction de manifester, procès expéditifs contre les journalistes jugés « pro-kabyles», ou encore réduction des libertés individuelles sous prétexte de guerre contre l’hydre intégriste. Un ras-le-bol qui pousse une fange des quelque 6 millions de kabylophones que compte la planète, à réclamer de plus en plus virulemment l’autonomie, voire l’indépendance, de leur région natale. Une diaspora aussi auprès de laquelle les figures de proue du militantisme berbère, de Belaïd Abrika à Ferhat Mehenni, président du Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK, dit «Timanit I Tmurt N Yeqvayliyen), trouvent un écho précieux à l’internationalisation de la cause kabyle. Et leurs efforts portent leurs fruits, les médias du monde entier braquant de plus en plus leurs caméras scrutatrices vers «ces humbles des montagnes oubliés de Bouteflika, de ses généraux et de leurs pétrodollars». Jusqu’à quand Alger persistera-t-elle dans sa politique de l’autruche ?

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