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jeudi 11 mars 2010

Marocains expulsés d’Algérie : En quête de mémoire et de dignité


Le 18 décembre 1975, le gouvernement algérien expulse des centaines de milliers de citoyens Marocains établis en toute légalité sur le territoire algérien. Ces personnes qui se sont intégrées depuis des décennies en Algérie, ont fondé familles, pris les armes, durant la guerre, contre l’occupant, se voient expulsées, arbitrairement et sans sommation vers le Maroc. Le mot d’ordre est donné le jour de la fête de l’Aid El Kébir, fête qui se mue en drame humanitaire pour les expulsés et leur famille. Aujourd’hui, les enfants et petits-enfants ayant vécu cette expulsion, en direct ou en différé veulent savoir ce qui s’est passé. Une interrogation légitime fondée sur le devoir de mémoire et la construction identitaire.

C’est le 18 décembre 1975, jour de l’Aïd-El-Kebir, que le gouvernement algérien, avec, à sa tête le Président Houari Boumédiène, entame une opération d’expulsion massive de Marocains établis en Algérie depuis des décennies. L’opération est une riposte politique à la monarchie marocaine qui a mobilisé 350.000 Marocains, déferlant de toutes les régions du Maroc vers le sud marocain, pour revendiquer la marocanité du Sahara.
Les Marocain/es sont renvoyés manu militari, laissant derrière eux une partie de leur famille, leurs biens mobiliers, financiers et autres… En arrivant aux frontières marocaines, les personnes expulsées vivront sous des tentes dressées à la hâte, par les autorités marocaines. Cet abri de fortune sera le lot de quelques uns durant quelques semaines et de nombreuses années pour d’autres.
Ces milliers de refoulés ne peuvent être contenus dans la seule ville d’Oujda et ils seront dès lors déplacés vers d’autres contrées du pays. La plupart des refoulés d’Algérie découvrent leur pays d’origine pour la première fois et connaîtront les conditions difficiles de la vie dans un camp. Elles connaîtront aussi l’exclusion, les quolibets de la population locale qui les surnommeront «immigrés», «expulsés», «polisario»…
Depuis 2005, des associations se sont créées au Maroc, en France et bientôt en Belgique car des milliers de personnes veulent tenter de comprendre, analyser avec le recul, écouter les témoignages, recouper les faits…, en un mot, reconstituer les morceaux d’une histoire trop vite oubliée, d’une page de l’histoire tournée sans être lue. Elles ne sont nullement animées par un esprit revanchard ou axé sur la restitution des biens matériels laissés en Algérie. Leur démarche s’inscrit dans une perspective de travail historique, de réhabilitation de la dignité de milliers de personnes et aussi de vigilance afin que des épisodes aussi dramatiques que celui-ci (entre autres) ne se reproduise plus jamais.
Ces associations veulent savoir comment des familles entières, dépossédées de leurs biens, déchiquetées du jour au lendemain dans leur tissu familial, social, relationnel ont été reçues dans leur pays d’origine. Que sont devenues ces personnes brisées dans leur quotidien? Que sont devenues ces familles séparées? Comment ont-elles assumé leur subsistance lorsqu’elles se sont vues privées de toute ressource matérielle et financière? Que sont devenus ces enfants dont on a brutalement sectionné la scolarité?
En 2004, le Maroc, par la voie de l’Instance Equité et Réconciliation (IER) a ouvert le dossier sombre des années de plomb. Il devrait aujourd’hui, se plier au même exercice, pour ce douloureux fragment de l’histoire. En effet, malgré toutes les limites que l’on peut imputer à l’IER, elle a eu le mérite de libérer la parole, de dire l’indicible, de penser/panser les plaies, de se diriger vers une sérénité individuelle et nationale.
Dans le cas des Marocains expulsés d’Algérie, il s’agit de leur ouvrir un espace pour leur permettre de se libérer de cette souffrance, non pas comme un exutoire mais bien comme une énergie positive au service de la construction de la mémoire et préparer l’avenir.
Le gouvernement marocain, ses décideurs politiques et institutionnels doivent porter ce fardeau de l’histoire avec les victimes car il est trop lourd pour leurs seules épaules. C’est un devoir politique et de solidarité que de les accompagner dans leurs démarches et leur assurer soutien moral, logistique et autre. En effet l’oubli est un second crime.
Par ailleurs, du côté dirigeants algériens, il serait tout à l’honneur de son gouvernement d’aller à la rencontre des familles qui ont été les victimes d’un acte politique misérable, irrespectueux de l’humain et de sa dignité. Malgré toute la honte qu’il pourrait éprouver pour le geste, il lui appartient et fait partie intégrante d’un moment de son histoire qui doit être assumé.

Fatiha SAIDI - Députée de la Région de Bruxelles-Capitale
Mohammed CHERFAOUI – Président d’ADMEA Europe

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